Le bilan carbone de l'épargne

En tant que particulier, quand vous avez de l'argent à investir, les premiers investissements à faire sont à mon sens ceux qui permettent de décarboner votre vie quotidienne, surtout si elle permettent des économies financières sur le long terme. Achat de logement desservi par les transports en commun pour ceux qui le peuvent, voiture électrique pour les autres, vélo électriqueisolation, pompe à chaleur, panneaux solaires etc.

Mais après ? Pour préparer ma retraite, j'aimerais placer de l'argent sur un temps très long, en finançant la transition, et si possible que cela rapporte assez pour compenser l'inflation. La transition a besoin d'argent, beaucoup d'argent. D'ici 2030, il faut réorienter chaque année 500 milliards de dollars des énergies fossiles vers les énergies propres, tout en y investissant 2000 milliards de dollars de plus

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Le bilan carbone de l'épargne

Grand absent des calculettes carbone individuelles telles que Nos Gestes Climat, le bilan carbone indirect de notre épargne est potentiellement très largement supérieur à celui de notre consommation. Mais il reste difficile à évaluer, notamment sur l'attribution de la responsabilité entre les banques et leurs clients, ou entre les entreprises cotées et leurs actionnaires. 

Je connais deux outils qui tentent de l'estimer.

La calculette Oxfam, très basique, compare 6 grandes banques françaises, et donne le bilan carbone par euro placé. Elle ne permet pas de faire la distinction entre les types d'investissements. Ainsi 100 000 € placés dans une banque française produisent selon cet outil entre 35 et 65 tonnes de CO2 par an. Soit 3 à 6 fois plus que la consommation d'un français moyen ! 

L'application mobile Rift, développée par Lita.co, avec Oxfam France et Carbon4 Finance. Elle reprend les données de la calculette Oxfam pour les comptes courants, mais va plus loin, en permettant d'estimer le bilan carbone de différents placements, livrets A, assurances vie, actions, obligations etc.
Elle n'est malheureusement disponible que sur mobile, ce qui est bien dommage car rentrer les différentes lignes sur mobile n'est pas aisé.


Désinvestir des énergies fossiles est-il efficace ?

Pour faire baisser le bilan carbone de son portefeuille, on désinvestit des entreprises les plus polluantes, en particulier les producteurs d'énergie fossile, pour investir dans les moins polluantes, c'est le désinvestissement. Mais est-ce efficace pour décarboner l'économie ? 

Le débat n'est pas tranché chez les économistes. Voir un résumé des arguments pour et contre : Braungardt, S. et al., 2019. Fossil fuel divestment and climate change: Reviewing contested arguments

D'une part, Hartzmark et al, Counterproductive Sustainable Investing: The Impact Elasticity of Brown and Green Firms trouvent un impact climatique négatif au désinvestissement, puisque les industries les plus polluantes manquent d'argent pour se verdir, alors que les industries les plus vertes ne peuvent pas se verdir plus. Elle conclut que l'investissement le plus vert serait celui qui permet d'utiliser le pouvoir de vote des actionnaires pour changer la stratégie des pollueurs. 

Du type de Engine Number 1, un ETF américain qui veut verdir les entreprises via le vote des actionnaires. Leur coup d'éclat en 2021 a été d'entrer au board de Exxon. Mais depuis la stratégie d'Exxon n'a pas changé, et Exxon continue de tout miser sur l'extraction du pétrole. On peut douter de l'efficacité de cette stratégie...

A contrario, une étude de 2023 centrée sur le désinvestissement du charbon a démontré qu'elle contribuait à une fermeture anticipée des centrales à charbon, et à une baisse quantifiable des émissions, voir Green, Daniel, and Boris Vallée. "Can Finance Save the World? Measurement and Effects of Bank Coal Exit Policies.". Cela fonctionne uniquement lorsque le mouvement est massif, sinon les promoteurs de projets trouvent facilement du capital dans d'autres institutions, ce qui est de moins en moins le cas pour le charbon. On peut commencer à voir l'esquisse d'un mouvement similaire dans le pétrole et le gaz.

A la lecture des ces articles, j'en conclus que désinvestir des producteurs d'énergies fossiles est efficace si massif, et que la tendance est en cours. Mais qu'il ne faut pas exclure d'autres secteurs par principe (industries, transport), et plutôt encourager les entreprises qui se décarbonent dans ces secteurs. 

La croissance infinie est-elle compatible avec la neutralité carbone ?

L'économie mondiale ne fait que croître depuis qu'on la mesure. Est-ce que cela peut continuer dans un monde où le réchauffement est limité à 1.5 degrés ? 

La toute première question qu'un investisseur à long terme devrait se poser. Le débat agite les économistes.

Le 6e rapport GIEC dit que limiter le réchauffement à 2 degrés aurait un impact faible sur la croissance globale à 2050 (PIB 1.3 à 2.7% inférieur à ce qu'il pourrait être en 2050). Le PIB doublerait entre 2020 et 2050 (Rapport du GIEC Groupe de travail 3, résumé pour les décideurs, paragraphe C 12.2, ou rapport complet section 3.6.1.1). 

Mais dans le même rapport, il y a des voix contraires qui disent que seul un ralentissement de la croissance voir une réduction du PIB, en tous cas dans les pays développés, permet d'atteindre les 1.5 degrés. Leur raisonnement est de dire que le découplage entre croissance du PIB et émissions est réel, mais pas assez rapide. Ils sont encore un minorité chez les économistes, mais elle croît

Ce à quoi les tenants de la croissance verte répondent que ce lent découplage s'est fait en la quasi absence de politique forte, notamment de prix sur le carbone, mais qu'une politique forte l’accélérerait. Voir par exemple le scénario Net Zero de l'Agence Internationale de l'Energie.

De plus les impacts du réchauffement auront un impact sur la croissance. Le rapport du GIEC estime que le PIB mondial serait plus faible de 2% à 20% (sacrée fourchette !) entre un monde à 2 degrés et un monde sans réchauffement. Entre 3% et 30% pour un monde à 3 degrés. Mais certains pensent que ces réductions de croissance sont très très sous-estimées, du fait de l'absence de prise en compte des points de bascule.

Même dans un scénario de décroissance, il est fort probable que certains secteurs continuent de croître, notamment celui des énergies propres.

Conclusion

On explorera dans une série d'articles comment baisser son bilan carbone en désinvestissant des énergies fossiles et en encourageant la transition.


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