Not the End of the World



"Not the End of the World" ("Pas la fin du monde") est un livre sorti en 2024, non traduit en français. Son autrice Hannah Ritchie est chercheuse au Program for Global Development à l'université d'Oxford. Elle est connue du grand public comme une des éditrices du site Our World in Data qui présente de nombreuses visualisations de données, dont beaucoup sont liées à l'environnement.

Il est sous-titré "Comment nous pouvons être la première génération à construire une planète durable". L'autrice y raconte comment d'une vision très pessimiste du monde, elle a peu à peu changé d'avis en  explorant les données au fur et à mesure de son travail.

Son propos n'est pas de minimiser les crises, elles sont toutes réelles et inquiétantes, mais elle cherche à montrer que nous avons des solutions que les générations précédentes n'avaient pas. Elle insiste aussi sur le fait que trouver des choses qui vont dans le bon sens n'est pas une minimisation des problèmes. Une situation peut être mauvaise, en amélioration et avoir encore la capacité de s'améliorer, tout cela en même temps.

Elle insiste sur comment la perception publique de ces problèmes est souvent pire que ce qu'elle est, ce qui encourage le pessimisme dans la population et bloque toute action.

Le livre explore 8 thèmes. Il est accompagné de nombreux graphiques qui sont disponibles sur le site web du livre. Chaque chapitre reprend la même structure : une description chiffrée du problème en insistant sur les erreurs ou effets de loupes que l'on retrouve dans les médias, les raisons d'espérer, les moyens d'agir, et les mesures qui sont moins efficaces.

Résumé

1. Développement durable

L'autrice montre comment de nombreuses statistiques (mortalité infantile, accès à l'éducation, espérance de vie, accès à l'eau, à l'électricité, pauvreté...) sont en nette amélioration dans le monde, et largement meilleures que ce que pense la majorité des gens. 

Elle attribue tous ces progrès à la croissance économique, et est donc fermement opposée à la décroissance. Selon elle il faut encore multiplier par 5 le PIB mondial pour sortir tout le monde de la pauvreté. Elle croit fermement à la possibilité d'une croissance vraiment verte grâce aux technologies d'aujourd'hui.

2. Pollution atmosphérique

Un problème peu connu car il touche surtout les pays du Sud. Elle fait 7 millions de morts par an, autant que le tabac, ce qui devrait en faire une priorité mondiale absolue. 

L'autrice décrit une échelle de l'énergie, que les populations gravissent progressivement, où chaque barreau est plus efficace et moins polluant que le précédent (bouse > bois > charbon > pétrole > gaz > électricité). Ainsi même à Delhi la ville la plus polluée du monde, l'air est de meilleure qualité que dans le Londres des années 1900, ou que l'air intérieur des cavernes de la préhistoire ou des logis du Moyen-Âge. 

L'exemple de Pékin (passée de 10e ville la plus polluée à 200e en 10 ans) montre que la technologie, la régulation et la pression des citoyens fonctionnent. 

Elle préconise au Nord plus de vélo, de transports en commun, d'électrification grâce aux énergies renouvelables et au nucléaire. Au Sud, la mise en place de filtres à soufre sur les usines, et de l'aide aux agriculteurs pour mettre fin au brûlis.  

3. Changement climatique

Il y a quelques années, on était sur la trajectoire d'un monde à +6 degrés, ce n'est plus le cas. L'objectif de +1.5 degrés de l'accord de Paris était très ambitieux, et difficile à atteindre sans une rupture technologique majeure qui n'a pas eu lieu. Mais l'objectif de +2 est réaliste.

Les technologies bas-carbone sont ou vont devenir moins chères que les énergies fossiles, et sont largement plus efficaces. Le photovoltaïque est passé de l'énergie la plus chère à la moins chère en 10 ans. Avant on avait le choix entre rester pauvre ou brûler des fossiles. Ce n'est plus le cas.

Le pic des émissions par personne a été franchi en 2012 à 4.9T CO2, depuis il baisse. Les émissions de nombreux pays baissent. En Grande Bretagne, l'empreinte carbone est la même qu'en 1859, avec un niveau de vie largement supérieur.  

Les émissions de CO2 par personne dans quelques régions, et dans le monde. Source.

Elle oppose des arguments à ceux qui disent que la transition n'est pas possible matériellement. Sur la surface nécessaire aux énergies renouvelables, 0,2% de la surface habitable est utilisée pour la production électrique (en incluant les mines), à comparer aux 50% pour produire de la nourriture. À propos des minerais, elle rappelle qu'on extrait 15 milliards de tonnes de fossiles/an, contre 40 millions de tonnes de minerais nécessaires à cette transition. Donc avec la transition, on va extraire largement moins du sol. D'autant plus qu'on peut les recycler, contrairement aux fossiles. 

Les solutions :  

  • Réduire les voitures en ville et électrifier les transports. Les ventes de voitures à combustion ont atteint leur pic en 2017.
  • Pour l'aviation elle ne croit pas à une réduction significative du trafic aérien et compte sur l'innovation.
  • Mettre un prix sur le carbone avec redistribution
  • Côté nourriture, réduire le bœuf et les produits laitiers. Augmenter les rendements dans les pays du sud pour lutter contre la déforestation. Peu d'impact du bio, du local, et de la réduction des emballages.
    • À l'échelle individuelle, bien avoir les ordres de grandeur en tête pour se concentrer sur les gestes efficaces (elle cite le même article que ce blog), et ne pas s'embêter avec les petits gestes si ça crée de la licence morale (on en avait parlé lors de notre article sur la consigne)

Mais il va falloir s'adapter. Les sociétés sont plus prospères, mieux préparées et plus résilientes aux catastrophes. Le nombre de morts à cause des catastrophes diminue chaque décennie. Cela pourrait changer avec le réchauffement. Continuer la lutte contre la pauvreté. Adapter les cultures et augmenter les rendements au Sud avec les OGM, les engrais, les pesticides. Déployer massivement la climatisation dans les régions qui vont devenir invivables.

4. Déforestation

Dans le monde, 1/3 des forêts ont disparu, principalement au profit de l'agriculture. La déforestation a atteint un pic mondial dans les années 80. La déforestation actuelle est en majorité dans les tropiques, là où la perte de biodiversité est la plus forte.

La politique a un effet. La pire année de déforestation au Brésil est 2004. Depuis sous l'impulsion du président Lula, elle a été réduite de 80%.

L'élevage de bœuf est la principale cause (40%). Il faut baisser la consommation, nourrir les bêtes avec du grain plutôt qu'avec de l'herbe, et augmenter les rendements, mais cela aura un impact sur le bien-être animal.

L'huile de palme est loin derrière. C'est une culture très efficace : 2,8 T/hectare contre 0,7 T/hectare pour le tournesol. Si on passait toutes les cultures d'huile en arbres à palme, on pourrait rendre 77 millions d'hectares à la nature. Demandons de l'huile de palme certifiée et arrêtons d'en mettre dans nos voitures, qu'il vaudrait mieux électrifier.

5. Alimentation

L'alimentation c'est 1/2 des terres habitables, 1/4 des gaz à effet de serre, 70% de l'usage de l'eau douce, la plupart des la déforestation, de la pression sur la biodiversité et de la pollution de l'eau.

On produit 5000 calories/personne/jour, le double du nécessaire. Mais 1 personne sur 10 ne mange pas à faim. Nourrir 10 milliards de personnes n'est donc pas un problème de quantité mais de mauvais répartition et utilisation.

La moitié de la population mondiale vit grâce aux engrais azotés. Le 100% bio mènerait donc à une division par deux de la population humaine.

Rendement de production des céréales par continent. Source.

41% de la production de céréales servent à nourrir le bétail, et 11% pour les carburants (35% aux USA). La production de calories par la viande est très inefficace (3% de rendement pour le boeuf). 

Raison d'espérer : on a atteint le pic des terres agricoles en 2000, alors que la production continue d'augmenter.

Ce qu'on peut faire :

1. Augmenter les rendements en Afrique (engrais, pesticides, OGM)

2. Manger moins de viande

3. Chercher des substituts à la viande

4. Mettre des végétaux dans le burgers. En blind-test les gens les préfèrent au 100% bœuf.

5. Utiliser des alternatives au produits laitiers

6. Réduire le gaspillage. 1/3 de la nourriture va à la poubelle. Dans les pays pauvres : réfrigération et conditionnement.

Ce qui a peu d'impact :

1. Manger local. Le transport c'est 5% de l'alimentation. On en avait parlé ici.

2. Manger Bio. Meilleur pour la biodiversité localement mais rendements moindres veut dire plus de surface donc plus de déforestation. Pas d'évidences claires pour l'effet de serre. Le bio serait pire pour la pollution des rivières du fait de l'utilisation de fumier et lisier (?). Il y a de la place pour le bio mais cela ne fonctionne pas à l'échelle du monde. Avec l'agriculture conventionelle, on peut monitorer l'impact des pesticides sur la santé pour optimiser leur utilisation.

3.  Réduire les emballages. L'emballage c'est 4% des émissions de la l'alimentation. Zéro emballage augmenterait le gaspillage.

6. Biodiversité

Les titres de presse catastrophiques sur la biodiversité utilisent souvent l'Indice Planète Vivante qui est difficile à interpréter. Ainsi 43% des populations de mammifères se contractent, mais 47% augmentent.

L'autrice relativise l'apocalypse des insectes. L'étude de 2017 sur les populations d'insectes en Allemagne qui a fait les titres est dure à extrapoler.

Peut-on parler d'une 6e extinction de masse ? Depuis 1500, 1,4% des mammifères ont disparu. C'est 100 à 1000 fois plus rapide que le rythme normal, mais on est encore très loin des autres extinctions en terme de quantité d'espèces disparues. Contrairement aux autres extinctions, il ne s'agit pas d'un facteur naturel, on connaît les causes et on peut agir.

Et la conservation fonctionne. On a des exemples d'espèces sauvées : éléphants d'Afrique, baleines bleues, bisons, castors... En Europe là où les zones agricoles se réduisent, la vie revient.

Les solutions sont les mêmes que dans les chapitres "Alimentation" et "Déforestation", ainsi que l'extension des zones protégées.

7. Plastique

Le plastique c'est 10 milliards de tonnes produites depuis 1950m soit 1 T/humain.

L'autrice rappelle le rôle essentiel du plastique dans la transition. Il permet de lutter contre le gaspillage alimentaire et de produire des véhicules plus légers.

Le plus gros problème est qu'il se retrouve dans les océans, même si c'est une infime portion. Sur les 460 millions tonnes produites par an, 1 million se retrouve dans les océans. Ce plastique provient principalement de pays qui n'ont pas de ramassage des ordures. 81% du plastique dans les océans vient d'Asie, 1% d'Europe.

Son recyclage est cher et peu efficace. Enterrer le plastique permettrait de stocker son carbone durablement. Tout le plastique produit depuis 1950 tiendrait dans une décharge de la taille de Londres.

Ce qu'on peut faire :
1. Ramassage et traitement des ordures dans les grandes villes d'Asie
2. Plus de régulation sur l'industrie du plastique
3. Plus de régulation sur l'industrie de la pêche

Ce qui a peu d'impact :
1. Les pailles en plastique
2. Les sacs en plastique au magasin. Leur impact carbone est inférieur aux sacs en papier.

8. Surpêche

L'article de 2006 Worm et al. qui annonçait une mer presque vide de poissons en 2048 et qui a été massivement repris dans la presse, est basé sur de mauvaises données de départ et fait des mauvaises extrapolations. Depuis les données ont été affinées et montrent une situation plus contrastée qui laisse la place à l'action.

Raisons d'espérer : 
La chasse à la baleine. Les baleines ont failli disparaître. Avec la subsitution de leur graisse par les énergies fossiles, puis des régulations, la chasse a presque disparu. Les espèces se redéveloppent.
L'aquaculture produit plus de poissons que la pêche depuis 2013. Elle devient aussi de plus en plus efficace. 11% de la pêche sert à nourrir les poissons d'élevage, c'est de moins en moins.

La production de la pêche et de l'aquaculture. Source.


Le monitoring des stocks et la régulation fonctionnent. Plusieurs espèces proches de l'extinction grossissent de nouveau : thon, morue. En Europe, en 2007, 78% des stocks étaient en surpêche. En 2020 ils n'étaient plus que 30%.

Il faut développer le monitoring et la régulation dans les autres régions du monde.

L'impact carbone du poisson reste plus faible que le poulet.

9. Conclusion

Ces problèmes sont interconnectés. Les solutions aussi :
  • L'électrification améliore la qualité de l'air et le climat
  • Moins de bœuf améliore la déforestation, le climat, la biodiversité, l'utilisation des sols et l'utilisation de l'eau douce
  • L'augmentation des rendements agricoles au Sud améliore le climat, la biodiversité et réduit la pauvreté
Beaucoup de solutions sont contre-intuitives. Les gens ont tendance à considérer que les solutions issues de la nature sont écologiques, mais ce n'est pas toutjours le cas. Exemple : se chauffer au bois, ou vivre à la campagne.
 
Pour agir, l'action individuelle est nécessaire. En tant que consommateur, en tant que donateur à des causes (l'autrice est adepte de l'altruisme efficace), et en tant que travailleur en choisissant une carrière qui aura un impact positif (voir le mouvement 80 000 Heures). Mais des changements systémiques sont indispensables, et le plus gros levier est celui du citoyen en votant et exigeant des changements auprès des gouvernements et institutions.

Pour que les choses changent il faut une action collective. L'autrice plaide pour que les mouvements environnementaux mettent de côté leurs conflits (nucléaire vs renouvelables, vegan vs flexitariens...) pour aller vers le même but. Sans ça, ce sont les pétroliers et les lobbys de la viande qui gagneront. Tout en ignorant les pessimistes qui baissent les bras.

Critique

Je recommande le livre à ceux qui sont découragés car il y a vraiment des chiffres très positifs qu'on aimerait voir plus souvent. Le livre est bien sourcé, avec des graphiques et des liens vers de nombreux articles.

Le fait qu'elle lie plusieurs problèmes et leurs solutions permet d'apporter un récit complet prenant en compte les limites planétaires pour se projeter dans le futur. La plupart de ces solutions sont partagées par tous les mouvements environnementaux (énergies renouvelables, vélo, transports en commun, viande...). Mais sur certaines solutions qu'elle propose, elle est en désaccord avec certains mouvements. 

Hannah Ritchie est-elle techno-solutionniste ? Ses solutions sont beaucoup basées sur les technologies et la foi dans le progrès. Mais contrairement à d'autres il s'agit principalement de technos existantes. Et ses solutions sont aussi très basées sur la sobriété (viande, vélo, transports en commun...)

Son propos a ébranlé certaines de mes certitudes. Sur la croissance verte, l'agriculture intensive, l'huile de palme, le mouvement zéro déchet ou l'aquaculture. Ça me donne envie d'en savoir plus sur ces sujets.

Je note que sa critique de la décroissance est basée sur une fausse définition. Elle part de décroissance globale, ce n'est pas ce que proposent les partisans de la décroissance. Ce qui ne fait pas très sérieux pour la rejeter en bloc.

Sa vision de l'agriculture intensive avec les rendements maximaux et peu de vie d'un côté, et des forêts et réserves naturelles riches en biodiversité d'un autre m'interroge. Si on réduit effectivement la viande, les biocarburants et le gaspillage, ne peut-on envisager une agriculture légèrement moins productive mais plus respectueuse des milieux ?

Sa vision de la lutte contre la plastique qui pourrait se concentrer sur quelques villes d'Asie omet totalement les microplastiques qui sont aussi produits par les pays riches.


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