Daybreak : le jeu

Moi qui m'intéresse au réchauffement climatique et aime jouer aux jeux de société collaboratifs, je devais essayer Daybreak.

daybreakgame.org


Daybreak est un jeu de société collaboratif sur le thème de la lutte contre le réchauffement climatique. Il se joue de 1 à 4 joueurs de plus de 10 ans pour une partie de 60 à 90 minutes. Il est l'oeuvre de Matt Leacock, le créateur de Pandémie, le jeu qui a rendu populaire les jeux collaboratifs. Il a été récompensé du prestigieux prix "Kennerspiel des Jahres".

Le but du jeu est d'arriver ensemble à la neutralité carbone au niveau mondial. On perd si on atteint le 6e tour, si on dépasse les +2C, ou si un joueur a trop de communautés affectées par les catastrophes naturelles.

Fonctionnement

Chaque joueur joue une puissance mondiale (Chine, Europe, USA, Reste du monde). Chaque puissance commence avec un jeu de 5 cartes "projet local" installées devant soi. Elles sont assez représentatives des forces de chaque puissance. Par exemple la Chine peut exporter ses énergies renouvelables. L'Europe peut aider les autres puissances en crise. Les États-unis peuvent décider de rembourser leur dette climatique en aidant d'autres joueurs.

Lors de la phase principale chaque joueur reçoit 5 cartes "projet local" supplémentaires parmi un énorme paquet. Les cartes peuvent être jouées en tant que nouveau projet, ou peuvent êtres glissées derrière un projet existant pour le renforcer. On peut aussi défausser des cartes pour activer les  projets qui le nécessitent.

On est donc en permanence devant des choix cornéliens. Atténuation ou adaptation ? Renforcer les projets existants ou en lancer des nouveaux ? Décarboner l'électricité ou les autres secteurs ? Cette séquence m'a fait penser à l'atelier 2 tonnes où la priorisation est très difficile.

Le jeu se passe en jeu ouvert. Tous les joueurs jouent en même temps et peuvent se donner des conseils sur leurs projets locaux. Mais la partie collaborative se passe surtout avec la carte "projet global". Les joueurs doivent défausser leur cartes locales pour l'activer. En y consacrant leurs cartes locales, les joueurs ne peuvent pas construire leur jeu. Mais les projets globaux vont impacter positivement tout le monde. Il faut donc se forcer à collaborer alors qu'on a envie de mettre en place les meilleurs projets locaux. On parle parfois de jeu "coopétitif", contraction de coopératif et compétitif. 

A la fin du tour on comptabilise les émissions de tous les joueurs, on ajuste le thermomètre et les crises climatiques se déclenchent, affectant les populations où nos carte. Le nombre de crises par tour augmente avec le thermomètre.

Exemple

Une partie solo


Exemple de partie solo. J'ai misé à fond sur l'éolien (la pile de 4 cartes à droite au dessus du plateau orange). Grâce à la carte Transition énergétique (à gauche au dessus du plateau orange), j'ai pu en même temps fermer mes centrales fossiles, ce qui m'a permis de décarboner complètement mon électricité en 3 tours (éclairs verts, 2e rangée sur le plateau orange) et de répondre largement à ma demande en énergie (maison bleue, première rangée sur le plateau orange). 

Mais je n'ai pas réussi à décarboner ni transports, ni logement, ni industrie, ni agriculture (3e rangée sur le plateau orange). Et surtout je n'ai pas investi dans la résilience (plateau orange en bas à gauche, rectangles violets, verts et oranges). La température a atteint 1.5 C (droite du plateau principal), plusieurs points de bascule ont été franchis (sur le planisphère), j'ai perdu des puits de carbone (marqueurs arbres et vagues sur le planisphère). Dans les tours suivants, la situation s'est emballée, les crises se sont multipliées (cartes oranges à droite du plateau principal), et toutes mes communautés ont été affectées par des crises (plateau orange, bas droite), j'ai finalement perdu cette partie.

Atouts

Je recommande ce jeu pour de multiples raisons.

C'est ludique. On s'amuse. On met en place des combos qui sont très gratifiantes quand elles marchent. La diversité des cartes fait que les parties ne se ressemblent pas.

Le jeu solo est intéressant, ce qui est rare pour un jeu, et rapide, moins de 30 minutes.

Le système climatique est bien représenté. Les puits de carbone, les points de bascule, les boucles de rétroaction, l'emballement climatique, et les crises qui en découlent. On se croirait dans une fresque du climat, même si les liens entre les parties du système sont moins explicites. 

Par contre c'est bien plus ludique et on se sent moins désarmé. Le jeu n'est pas facile, mais lorsqu'on perd on a envie d'y rejouer pour faire mieux la prochaine fois. Et on finit par gagner. Le jeu propose une vision résolument optimiste. Cette vision est basée sur celle du think-tank américain Drawdown. Construire des nouveaux récits et se projeter dans le futur est salutaire devant le découragement ambiant.

Il y a plein de bonnes trouvailles qui permettent de coller à la réalité de la lutte contre le réchauffement :

  • La courbe exponentielle d'augmentation des énergies renouvelables est bien représentée. Si on investit à chaque tour, on peut construire suffisamment d'électricité verte pour répondre à la demande en quelques tours. 
  • Mais l'augmentation des énergies renouvelables ne suffisent pas à décarboner l'électricité, il faut aussi imposer la fermeture des centrales fossiles en parallèle
  • L'électricité est relativement facile à décarboner, mais le reste est plus dur.
  • La demande en électricité augmente différemment selon les puissances mondiales.
  • Les joueurs peuvent avoir recours à la géo-ingénierie pour refroidir le climat, mais il faut lancer un dé et on peut obtenir un résultat complètement opposé à celui désiré
  • Avec le côté coopétitif, on est réticent à sacrifier ses projets locaux pour contribuer aux projets globaux est assez représentatif de la diplomatie climatique. Alors qu'à la fin, tout le monde perd.

Critiques

La principale critique est le temps de mise en place et la longueur d'une partie. Si on joue collaboratif et que l'on prend le temps de prendre toutes les décisions en commun, on dépasse facilement l'heure et demie de jeu. Il faut avoir des joueurs motivés. Et une grande table !

Il y a une part de hasard qui est parfois frustrante. Dans la partie exemple ci-dessus, je n'ai eu aucune carte pour décarboner l'industrie, le logement ou les transports lorsque j'en avais besoin.

Certains reprocheront son côté techno-solutioniste au jeu. Il y a des cartes telles que sobriété, décroissance, végétarisme, mais elle constituent une infime partie du jeu. La base du jeu c'est quand même le déploiement massif des énergies renouvelables et/ou du nucléaire, l'électrification et l'efficacité. Hormis quelques cartes, la demande en énergie continue d'augmenter à chaque tour, même dans les pays riches.

Enfin dans la version originale, chaque carte a un QR code qui renvoie vers un fiche complémentaire avec des informations sur cette mesure dans la vie réelle, son avantages et inconvénients etc. Un bon moyen de passer du jeu à la compréhension. Très dommage que ce n'ait pas été traduit en France. Vous pouvez toutefois explorer les cartes en anglais sur le site Daybreak

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